Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière

 

 

 

VALÈRE.- Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? Et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s’il n'y a rien de plus préjudiciable à l’homme, que de manger avec excès.

HARPAGON.- Il a raison.

VALÈRE.- Apprenez, Maître Jacques, vous, et vos pareils, que c’est un coupe-gorge, qu’une table remplie de trop de viandes [1] ; que pour se bien montrer ami de ceux que l’on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu’on donne ; et que suivant le dire d’un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

HARPAGON.- Ah que cela est bien dit ! Approche, que je t’embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j’aie entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi... Non, ce n’est pas cela. Comment est-ce que tu dis ?

VALÈRE.- Qu’il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

HARPAGON.- Oui. Entends-tu ? Qui est le grand homme qui a dit cela ?

VALÈRE.- Je ne me souviens pas maintenant de son nom [2].

HARPAGON.- Souviens-toi de m’écrire ces mots. Je les veux faire graver en lettres d’or sur la cheminée de ma salle.

VALÈRE.- Je n’y manquerai pas. Et pour votre souper, vous n’avez qu’à me laisser faire. Je réglerai tout cela comme il faut.

HARPAGON.- Fais donc.

 

Extrait de L'avare, acte III scène 1.

 

  1. [1] Ici, viandes est au sens vieilli du mot et signifie aliments.
  2. [2] C'est dans la Rhétorique à Hérennius, que Cicéron écrit :"Esse oportet ut vivas, non vivere ut edas." 

 



23/06/2012
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